"LA REVOLUTION EST TERMINEE !"


Texte d'un des montages audio-visuels


Comité de rédaction de POLE NORD

(réédition 2012)


Voix: Pilar Arcas et Thierry Thomson

Collaborations: Nathalie Witvrouwen, *Michel Guillou et Guy Hauwaerts

Chansons et musiques de l’époque:

La prise de la Bastille, le Ca ira et La Carmagnole,

Gossec, Cherubini, Rouget de Lisle et Mozart


La Révolution est l’aboutissement de tout un siècle! Le siècle des Lumières! 
Montesquieu! Voltaire! Diderot! d’Alembert! Rousseau!
La Révolution était terminée dans les esprits avant même d’être passée dans les faits.
La Révolution est terminée !

O peuple confiant mais inconsidéré, n’écoute pas ces sirènes charmeuses, 
ne lis pas ces proclamations triomphales ! 
Ne te laisse pas prendre au piège des mots-chocs et des succès faciles !
Ceux-là mêmes qui clament si haut l’accomplissement de la Révolution 
n’en sont-ils pas, dès les premiers jours, les fossoyeurs ?

14 juillet 1789 ! Le peuple entier s’est soulevé ! 
Avec la Bastille, symbole détesté du despotisme, c’est tout l’Ancien régime 
qui s’effondre. Une page se tourne dans l’histoire du monde.

Pourquoi, dis-le moi, comment, dis-le moi, un monde nouveau se serait-il forgé comme par enchantement ?
Il est vrai : grâce aux vues – combien courtes – de ceux qui te gouvernent, 
grâce à un concours d’événements inattendus, tu as rompu tes fers et te voilà, 
un peu par hasard, reconnais-le, au bord de l’Histoire. 
Mais ces forces en présence avant le 14 juillet, celles qui s’affrontent autour des questions financières, celles qui se retrouvent face à face aux Etats Généraux, crois-tu qu’elles se soient évanouies ? 

Bien sûr, tu es descendu dans la rue… Bien sûr, tu as marqué des points…

En cette année 1789, les événements se bousculent.
En mai, réunion des Etats Généraux.
En juin, le Tiers Etat s’affirme comme une force politique. 
Les Etats Généraux deviennent Assemblée constituante !
En juillet, si la Bastille est prise, c’est que le peuple a décidé de contrôler 
Paris et, cette fois, les armes à la main.


La vie est devenue intenable. Les approvisionnements sont détournés,

les ateliers sont déserts, les finances ruinées. Et la France, partout, connaît la peur. Elle craint toutes ces ombres, les troupes massées autour de Paris, les complots d’une cour aux abois. Comme un enfant affaibli et surexcité, elle a aussi peur de son ombre. Les paysans s’en prennent aux châteaux, aux demeures seigneuriales, ils brûlent tous ces papiers qui consacrent leur servitude.

Le feu écarte les ombres. En août…


En août, tous les privilèges sont abolis !

La grande Charte de l’Humanité est proclamée.

C’est la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen !

Maintenant s’achève la grande œuvre de la Révolution !


La Révolution est terminée !


Comment n’as-tu pas compris que les mots aussi font partie d’un combat qui s’engage à peine ?

Ces mots-ci ne sont que des mots-fantoches, des mots-hochets, qu’on agite

devant toi pour te calmer, pour te distraire.

En réalité, l’Assemblée piétine, elle se perd en discussions stériles.

Partout, dans les comités, les hommes, nourris des maximes de la Robe et de la Cour prennent le dessus.


En octobre pourtant, la machine politique assoupie se réveille par une

violente secousse. Les femmes, cette fois, trois mille, huit mille,

dix mille femmes prennent les canons et marchent sur Versailles.

«Le Roi, disent-elles, est mal entouré, mal conseillé.

Allons le délivrer et ramenons-le à Paris au milieu de son peuple.»

A Versailles ! A Versailles !

Cette fois, le Roi est au milieu de son peuple.

Les Etats réconciliés sont prêts à bâtir le bonheur commun.

Marquises et artisans, officiers et paysannes, l’évêque et la blanchisseuse charrient les brouettes et aménagent l’Autel de la Patrie.

L’allégresse culmine pour l’anniversaire du 14 juillet,

célébré au Champ-de- Mars.

Défilé, hymnes, danses, feu d’artifice, brioche et vin à volonté !

La Fayette, le héros des Deux Mondes, caracole sur son cheval blanc et fait rêver tous les enfants de France.

Cette Fête de la Fédération est bien le triomphe final de la Révolution !


La Révolution est terminée !


Malheureux Ami du Peuple !

Pour l’heure, ton, peuple ébloui, ton peuple aveuglé te laisse désespérément seul.

Et c’est en vain que tu l’avertis sans cesse :

«C’est un beau rêve», «On nous endort, prenons-y garde !», «L’affreux réveil»…

Le 31 août 1790, les troupes du marquis de La Fayette, sous les ordres de Bouillé, son beau-frère, ouvrent le feu sur le régiment des Suisses de Châteauvieux, ceux-là mêmes qui, le 14 juillet, aux Invalides, avaient refusé de tirer sur le peuple.

Le Roi soutient, l’Assemblée est dupe.

C’est l’apogée d’un véritable régime militaire, institué sous des dehors de liberté.

Mais alors, le chemin parcouru depuis 89 a donc été vain ? Cette question, brusquement, surgit dans tous les esprits, agite tous les esprits.


Peuple hardi mais naïf, quand t’éveilleras-tu ?

Tu fêtes la Liberté, tu la chantes, tu la danses…

Le Roi la restaure, La Fayette la maintient, l’Assemblée la garantit.

Mais quand ils célèbrent la liberté, maudissent le despotisme, c’est pour mieux

te faire oublier ce qui risque vraiment de changer le cours des choses:

ton intervention décisive dans le jeu politique et l’essor historique qu’elle annonce. Et à peine as-tu soupçonné ceci qu’un nouveau piège, tout aussi subtil, t’est tendu.


Dès la fin de l’année 1790, divers préparatifs annoncent un départ du Roi.

A Pâques suivantes, le peuple empêche le souverain de gagner Saint-Cloud.

Et le 21 juin 1791, quand la famille royale prend de nuit la route des

Pays-Bas autrichiens, la méfiance est sur toutes les routes.

La vigilance aussi.

Le Roi, déguisé en bourgeois, est arrêté à Varennes en Argonne et

reconduit à Paris, en vaincu.

On dit : Un Roi vaincu n’est plus un Roi.

L’Assemblée dit : Le Roi n’est pas responsable, il a été enlevé.

On dit : Le Roi doit être destitué ! Dans Paris circulent des pétitions.


«Le 17 juillet 1791, nous, Cordeliers, dont l’influence va grandissante, décidons qu’on signera sur l’Autel de la Patrie, au Champ de Mars.»


La Fayette tente un ultime coup de force et fait ouvrir le feu sur la foule désarmée. Se dirige-t-on droit vers la guerre civile ?

Louis XVI… le Roi, renonce à son veto.

Il approuve les décisions de l’Assemblée et adopte la Constitution.

La France, dotée d’une Constitution libre, va maintenant pouvoir apporter au monde entier son message d’espérance.

Sa Majesté prononce un grand discours :

«Le terme de la Révolution est arrivé. Que la Nation reprenne son heureux caractère !»

La Révolution est terminée !


Avril 1792. Le Roi lui-même déclare la guerre à son beau-frère autrichien.

L’Assemblée certifie que la France n’est animée d’aucun désir de conquête.


«Je t’en prie, je t’en conjure, peuple bien-aimé, ne te laisse pas duper

comme un enfant.

Dans les circonstances présentes, toute guerre est une véritable

catastrophe pour la Révolution.

Elle ne sera qu’un tissu de trahisons. Le véritable ennemi est à l’intérieur.

Ne vois-tu pas qu’il cherche à amener à Paris des troupes étrangères ?»


En 1792, Marat, l’Ami du Peuple, acquiert une réputation de devin.

Plusieurs fois déjà, sa parole avait été prémonitoire. Voilà que peu de

temps après ce nouvel avertissement, les puissances alliées, sous la

signature du duc de Brunswick, menacent solennellement la France :

«Qu’on touche au Roi, et il en coûtera !»


Dans six semaines, Prussiens et Autrichiens seront à Paris.

Devant l’imminence du danger, on proclame «La Patrie en danger» et de

toutes parts affluent les volontaires. Mais cette fois, la complicité de la

Cour avec l’Etranger ne fait plus de doute et avant de se porter aux

frontières, le 10 août 1792, le peuple prend d’assaut les Tuileries.

«Corps et âme, je me suis livré au peuple. M’accusera-t-on de folie ou de naïveté ?

Sans lui, nul mouvement, nul espoir ! Avec lui, tant d’angoisses et de tourments !

Peuple enfant, tantôt tu accordes ta confiance sans discernement,

tantôt tu t’élances sans mesure.

Tu t’éveilles encore si tard et tu t’endors déjà si tôt… »


A Paris, la tension est extrême. Il faut partir aux frontières, mais il faut

également assurer la sauvegarde des villes.

Les prisons abritent quantité d’ennemis de la Révolution.

La justice est lente. Ils profitent de toutes les contradictions.

On hésiterait à partir.

Quand on annonce la prise de Verdun, il n’y a plus un instant à perdre :

le peuple se rue dans les prisons et y opère, en ce début de septembre 1792,

un grand nettoyage.


«Mon peuple, que n’as-tu été énergique plus tôt ! Te voilà contraint à des mouvements salutaires mais malheureux qui donnent à tes détracteurs une prise puissante sur ta jeunesse et ton inexpérience.» 


En cette fin de septembre 1792, le cours de la Révolution culmine avec

la première victoire des armées révolutionnaires, sur la butte de Valmy.

Le lendemain se réunit une Convention Nationale.

Son premier acte est d’abolir la Royauté en France.

La Révolution est bel et bien terminée ! Sachez-le, tous !


La Révolution est terminée !


«Cette voix me fatigue, cette musique sonne faux !

La vérité est que, depuis le 10 août, rien n’a changé.

Ce temps qui s’écoule sans action n’apporte que calamités et désolations.

Le monde ancien, devant une telle apathie, ne tarde pas à se reconstituer.

Ta défense, peuple audacieux mais inconséquent, exige toujours plus de hardiesse et de vigilance.

Cette guerre est un camouflet. La République n’est qu’une forme vide,

dépourvue de contenu. Tes fers sont lourds, et ma charge l’est plus encore !»


En mars 1793, Marat confirme sa lucidité.

Il s’avance jusqu’à prévoir la date de la trahison du général Dumouriez,

homme de main des Girondins.

Devant de nouvelles catastrophes militaires, sa voix résonne plus loin encore.

Un nouvel élan populaire renverse la hiérarchie des tendances à la

Convention. La Gironde est battue. Le 2 juin 1793, les Montagnards

prennent le pouvoir. Mais les Girondins prennent leur revanche :

les départements contestent l’autorité de la Convention.


Et quatre ans jour pour jour après la prise de la Bastille, Jean-Paul Marat est

assassiné.

Le peuple a perdu son Ami et les Révolutionnaires un véritable esprit politique.


La Révolution est terminée !


La lassitude s’installe.

Malgré Robespierre, homme intègre, fervent partisan de la Révolution et

un de ses rares et constants défenseurs dans l’Assemblée, le règne des

Comités, la Terreur, marquent le renversement dans le cours des événements.

Jusqu’à ce jour, la Révolution s’est affermie.

D’abord hésitante, et soumise aux hommes de l’Ancien Régime, les Necker,

Mirabeau, La Fayette… elle a porté à sa tête des tendances de plus en plus élaborées.

Maintenant, le mouvement s’inverse.

La Révolution n’avance plus, elle recule.

Après Thermidor réapparaissent les Girondins et, derrière eux,

les royalistes. La Terreur blanche s’abat sur la France.

En 1795 – en l’an III faudrait-il dire -  le peuple, en un dernier sursaut,

envahit l’Assemblée.

Mais quelques jours plus tard, les troupes de la Convention forcent le

Faubourg Saint-Antoine à rendre ses canons.

Le mouvement populaire s’éteint définitivement là même où tout avait

commencé, à l’ombre de la Bastille.

Une dernière fois, se réalisent les prévisions de l’Ami du Peuple.

Dès 1789, il avait annoncé que trop de lenteurs et d’irrésolution amèneraient

un Cromwell.

Napoléon mettra près de vingt ans à éteindre, sur les champs de bataille,

l’enthousiasme issu de la Révolution.


Cette fois, la Révolution est bel et bien terminée !