En juin 2012, cinquante écoles belges se sont lancées, à titre expérimental
et sur base volontaire,
dans une épreuve externe certificative de dissertation.
Le sujet, résolument culturel, devait permettre à ces étudiants en fin d’études secondaires, de montrer leur capacité à comprendre, analyser, synthétiser la pensée d’autrui, en même temps que leur compétence à se positionner personnellement, enrichis du bagage intellectuel de leurs humanités. Il leur était demandé de défendre leur point de vue, étayé d’exemples de leur cours de français et de leur expérience culturelle, après avoir synthétisé un portfolio de trois textes de Charlotte Goëtz-Nothomb, d’Ariane Petit et d’Umberto Eco, destinés à nourrir leur propos et à leur ouvrir des perspectives.
Parmi les meilleures copies d’élèves, le jury, constitué des membres du groupe de travail «dissertation» et de Monsieur Didier Leturcq, directeur général adjoint, a retenu le texte d’Amandine Pirnay, élève à l’Athénée Royal d’Aywaille, sous la férule de Madame Kerstin Foret, professeur de français.
Voici le sujet:
La richesse et la complexité du concept de héros, son évolution au cours des siècles, montrent bien son utilité, née du besoin de l’être humain
de modeler son imaginaire et de se projeter dans un modèle d’excellence
Extrait de la dissertation d’Amandine Pirnay
Les œuvres de fiction sont omniprésentes dans notre quotidien: livres et romans, films, publicités,... Tous ceux-ci ont évolué avec l’apparition de nouvelles technologies ou suite à de grands événements historiques.
Le héros a-t-il alors, lui aussi, évolué ?
Charlotte Goëtz-Nothomb nous expose une évolution flagrante dans le mode de vie du héros. En effet, le héros antique, voire moyenâgeux, se battait contre des dieux, des créatures infernales. L’ennemi venait de l’extérieur et le combat était, le plus souvent, physique. Le héros figurait un idéal, un modèle d’excellence.
Cependant, au fil des siècles, et plus précisément à partir du XVIe siècle, le combat a évolué; il n’est plus de même nature. Le héros ne se bat plus contre un ennemi extérieur mais contre lui-même. Il s’engage dans une lutte interne. Sa tare: une vie cyclique, une courbe composée de phases ascendantes puis descendantes, de gloires puis de défaites.
Selon Charlotte Goëtz-Nothomb, cette modification vient de l’obligation qu’a le héros de pouvoir être vécu par tous. Pour cela il a développé une bipolarité où le «héros» - phase ascendante - se lie à l’«anti-héros» - phase descendante. Cette liaison explosive donne lieu au combat interne. Il est évident que cette modification ne s’est pas opérée sans peine. Le «héros moderne» a dû sacrifier sa morale car «le monde ancien n’a pu l’attaquer de front, il l’a dévoyé de l’intérieur».
La perte de la morale idéale s’illustre dans la série télévisée américaine «24 heures», comme l’épingle Ariane Petit. Le héros de cette série, Jack Bauer, use et abuse de la torture pour obtenir des informations qui, une fois révélées, permettent de sauver le monde. La frontière entre «le bon» et «le méchant» est devenue floue. Les actes ne sont plus un critère de distinction ; ce sont maintenant les intentions qui priment. Ce comportement est à rapprocher de l’adage «la fin justifie les moyens». Le dévoiement du héros est une autre conséquence de l’obligation que le héros a de pouvoir être vécu par tous. […] Le héros est devenu une image fidèle de l’homme.
Umberto Eco mène la comparaison et le lien entre le héros et l’homme encore un peu plus loin. Si on insérait un héros classique tel que Monte-Cristo dans la société moderne, il serait tout à fait obsolète, car les combats ne sont plus les mêmes. Umberto Eco ajoute une autre cause à l’évolution: la télévision. En effet, celle-ci a mis sous le feu des projecteurs l’«Every man», le quidam, le monsieur tout le monde, car celui-ci est proche du téléspectateur, il le séduit, et un téléspectateur séduit, c’est un audimat qui grimpe. L’«Every man» est à égalité avec le spectateur. Il n’est pas moralement, physiquement ou intellectuellement supérieur. Il agit «exactement comme nous pourrions le faire nous-mêmes». Il est parfois inférieur au téléspectateur. Le héros devient alors «l’idiot du village» qui ne réussit que grâce à sa bêtise ou à son inconvenance. L’idiot du village, par son infériorité, valorise l’ «Every man» et, par extension, le téléspectateur.
Umberto Eco conclut «De superman au surhomme» en comparant la démarche du héros classique et du héros moderne. Le héros classique tentait d’atteindre un idéal par ses actes; il se modifiait lui-même, moralement. Alors que le «héros moderne», lui, n’essaie pas de se modifier; il valorise ce qu’il est déjà; il fait de son être actuel un idéal.
En conclusion, on constate que le héros a évolué pour devenir un «héros moderne» qui est le reflet de l’homme (et non un idéal à atteindre), et qui agit selon une morale très complexe.
Il n’est plus un demi-dieu, il est un Homme.
L’homme au centre d’une œuvre fictionnelle n’est pas une invention de la machinerie hollywoodienne. Ce type de héros était le principal sujet du mouvement littéraire réaliste. Citons un exemple très connu: «Madame Bovary». Flaubert place au centre de l’intrigue une petite bourgeoise qui s’ennuie profondément dans sa campagne française. Elle ne brille pas par ses actions; elle fait preuve de mœurs légères. Nous sommes loin de l’Enéide par exemple. Je ne suis donc pas d’accord avec Umberto Eco qui affirme que la modification du héros a eu lieu avec l’apparition de la télévision. Elle était déjà amorcée avec le Réalisme et même le Romantisme, pour ce qui est du conflit interne et de l’introspection.
Certes, il y a eu une évolution globale mais elle n’a pas été absolue.
En effet, Charlotte Goëtz-Nothomb, Ariane Petit et Umberto Eco défendent l’idée commune que l’évolution s’est réalisée d’un «héros idéal» à un «héros banal». Or, il persiste quelques exceptions: la littérature antique latine comprend des comédies dont les personnages principaux sont des quidams, des «Monsieur tout le monde». Par exemple Apulée, dans «L’Âne d’or», met en scène un âne qui, pour rompre le sort, doit manger des roses. Dans sa quête de roses, il rencontre différents personnages de basse extraction. Ce roman picaresque est en contraste avec les œuvres latines plus classiques où le héros est souvent un demi-dieu ou un surhomme.
A l’inverse Camus, dans «La Peste», donne à Grand un caractère héroïque car il sacrifie son œuvre pour aider les autres et ce, au XXe siècle !
Il est vrai que ces exceptions ne sont pas suffisamment nombreuses pour pouvoir détruire la thèse de l’évolution. Pour ma part, je dirais qu’un autre facteur a permis au héros de devenir le héros moderne: la psychanalyse. Elle a complexifié la conception de la morale.
Un acte pouvant avoir des origines conscientes et/ou inconscientes multiples, le rapport entre le héros et ses actes s’en trouve modifié. La psychologie du héros s’en trouve plus complexe et parfois plus tourmentée.