FAUST
 
 
 
“LA MERVEILLEUSE HISTOIRE DE L’HISTOIRE DE FAUST”

                                                               par Charlotte Goëtz-Nothomb

                                            © NRN - POLE NORD






En 1997, cet article paraît dans le numéro spécial 
Sous le signe de Faust
 de la revue de la Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel 
où l’exposition FAUST de POLE NORD a été reprise.

Un trésor, générateur de soucis 
Faust semble avoir toujours existé, et pourtant, jusqu’au XIXe siècle, du diable si l’on savait d’où sortait ce héros-anti-héros si familier ! Les recherches concernant le livre d’origine, le Faust-Buch, ont d’abord été polarisées sur la détection de simples sources et ce n’est que récemment qu’on en est venu à l’interprétation littéraire interne. Aux recherches menées par Georg Ellinger [1] et Siegfried Szamatolski [2], on doit l’identification des ouvrages sur lesquels s’appuie le fameux best-seller. 
On a pu en déduire que, quoique publié sous l’anonyme, le livre avait un auteur, et pas n’importe lequel. En homme très cultivé, celui-ci a produit une œuvre construite, à cent lieues de la compilation d’historiettes nées de l’air du temps. Cette conviction n’est d’ailleurs pas en contradiction avec la notion, romantique il est vrai, d’un esprit populaire s’incarnant dans une œuvre, même si l’appellation de «Volksbuch» reste insatisfaisante, parce qu’elle ne fait pas la part exacte au rôle catalyseur de l’auteur. 
Mais cet écrivain, qui pouvait-il être? L’absence d’identification a contribué, en des temps où l’individu prenait de la consistance, à épaissir un mystère qui ne fut préjudiciable ni au personnage ni à la vente de ses aventures. Mais encore? 
Une thèse de philologie, publiée en 1923 par Herbert Müller, nous apprend que le père littéraire de Faust emploie des tournures de langage propres à la région du Haut-Rhin, qu’il est vraisemblable qu’il en soit originaire, ce qu’affirme d’ailleurs l’éditeur Spiess dans sa dédicace: 
«Cette histoire m’a été récemment communiquée et envoyée par un de mes bons amis qui vit à Spire».  «L’ami de Spire», quant à lui, annonce que son livre est basé sur des écrits personnels de Faust, une hypothèse qui n’a pu être vérifiée, même si la Chronique de Zimmern fait bien état de tels écrits de l’intéressant  docteur, présentés comme un «trésor générateur de soucis et de malheurs». 
Il ne faut pas perdre de vue que Faust a bel et bien existé. 

L’étude du caractère religieux de l’ouvrage nous offre-t-elle d’autres pistes? Tant du point de vue des intentions philosophiques que du contexte dans lequel il voit le jour, l’ouvrage est indiscutablement d’inspiration luthérienne. La présence simultanée des thèmes de l’essor scientifique et de sa possible démesure, le risque de se trouver en contradiction, non pas avec une Eglise, mais avec la théologie, donc avec Dieu, l’absence de la pénitence et du pardon divin, marques du catholicisme, le prouvent. En pleine Guerre des paysans, Luther vient d’écrire son texte Contre les bandes pillardes et meurtrières de paysans (1525), abandonnant ces derniers à leur triste sort. 

Même s’il paie, après coup, le prix fort pour ses exploits, Faust, avec son côté audacieux, frondeur et exceptionnel, a dû plaire au peuple, comme un héros qui incarnait une revanche sur sa misérable condition et comme un porte-parole qui n’hésitait pas à défier Dieu lui-même, tellement absent. 

En jouant sur ces composantes, une entreprise éditoriale sur Faust avait des chances de succès, à condition de se couler dans les normes requises. Dans le Faust-Buch, l’histoire est située à une époque antérieure à la Réforme. 

Faust y montre une aspiration à la connaissance, digne d’un homme de son temps et logiquement inscrite dans des conceptions médiévales, dépourvues ici du caricatural label d’obscurantisme dont on les affuble si erronément. Puis Faust commet l’erreur de pactiser avec le diable pour aller plus loin dans sa recherche, trop loin paraît-il. 
Dès lors la Réforme est réintroduite comme réponse adéquate à l’excès ou à la révolte déplacée. Grâce à elle, les humains peuvent s’écarter des passions destructrices et entrer dans la voie de l’assagissement. Le livre paraît chez Spiess, dont Friedrich Zarncke [3] a rappelé que la maison éditait surtout des textes luthériens. En l’occurrence, l’éditeur a vraiment eu du nez, et l’hypothèse que lui-même était l’auteur n’a pas manqué d’être évoquée! En effet, le Faust-Buch connaît immédiatement un gros succès. C’est qu’il est très plaisant à lire! Aujourd’hui encore, pour autant qu’on n’y cherche pas ce qui ne s’y trouve guère, à savoir un grand roman ou une œuvre épique, on suit avec un réel amusement la vie de ce personnage hors du commun, qui dispute d’égal à égal avec le diable et qui, grâce à un pacte, oblige ce dernier à répondre aux mille questions intéressantes ou drolatiques qui le travaillent